Attacher ses lacets

Quand je serai grand, je veux pouvoir attacher mes lacets tout seul. Quand je serai vieux, c’est la même chose. 

Après tout, ce sont les gestes insignifiants de notre quotidien qui déterminent notre autonomie. Ouvrir une porte de voiture, monter un escalier, sortir de son fauteuil, porter ses sacs d’épicerie, marcher sans tomber, se pencher pour attacher ses lacets.

Je connais un « vieil » homme qui a failli perdre son autonomie. Sportif depuis toujours, professeur d’éducation physique, universitairement formé aux exercices nécessaires pour acquérir, puis maintenir une forme physique optimale : mon père.

L’homme, au XXe siècle

Tout allait bien pour mon vieillard préféré jusqu’à cette complication médicale l’année de ses 76 ans. Urgence, chirurgie majeure, 8 kg perdus en quelques jours puis longue convalescence. Résultat, l’éternel sportif se retrouve avec des muscles atrophiés et peine à se relever après avoir attaché ses lacets.

Ou comment passer en quelques semaines d’autonome à mobilité limitée, malgré une vie athlétique exemplaire.

Pas de bol.

Innovations in Geroscience to enhance mobility in older adults

Donc, non, une excellente forme physique ne protège pas de tout. Un accident, une maladie, un pépin médical et c’est la potentielle débandade : de la courbe verte (vieillir en santé), on peut sombrer vers la ligne bleue (déclin typique) et risquer d’entrer dans la zone où la vie devient plus compliquée, celle des limites, celle des lacets à la con.

Alors, à quoi bon suer pendant des décennies pour se retrouver quand même par terre ? Eh bien, c’est pour se donner les meilleures chances de se relever si on trébuche.

Déjà, plus on décline de haut, moins on a de chance de subir les effets délétères d’une blessure. Et si ça arrive, les conséquences seront plus limitées, évitant le cercle vicieux qui nous entraîne vers le fond : étant amoché, on bouge moins, donc on s’affaiblit et c’est là qu’on se fait mal ailleurs, vlan !, on se retrouve alité, désormais incapable de se déplacer seul. La fin de la course se fera en fauteuil roulant. Invalide.

Heureusement pour mon père, il a de beaux restes, comme l’infirmière lui a dit. Et surtout, lui (et ses muscles) sait quoi faire pour se reprendre en main. À peine cette ligne pointillée franchie, il a tout fait pour repasser au-dessus : il a adapté sa routine d’entraînement à sa condition immédiate, puis ajouté des exercices pour rebâtir du muscle. Son corps, habitué à ces stimuli, a vite répondu. Et le voici de nouveau en mesure de se baisser pour enfiler ses godasses et de se relever sans prendre appui sur le mobilier urbain.

« Je peux non seulement maintenant faire ce que tu expliques; mais je fais 50 kilomètres à vélo sans problème, des sorties à VTT de deux heures et mes drives ont retrouvé des distances acceptables de 200 mètres. Les 8 kilomètres parcourus pour jouer 18 trous se font à pied. Je peux même relacer mes chaussures et me relever 30 fois de suite ! »

Des décennies de conditionnement physique pour pouvoir de nouveau attacher ses lacets. Marcher sans tomber. Porter un sac. Monter des marches. Ouvrir une porte.

Un vrai gamin de 77 ans. En fait, meilleur que les gamins du XXIe siècle, mais ça c’est une autre histoire…

Quand je serai vieux, je veux être comme papa.
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