Sur un lac, y a pas d’arbre pour faire pipi

Sur un lac, y a pas d’arbre pour faire pipi.

Quand on sait tout ce qui peut aller de travers lors d’une longue traversée nocturne d’un grand lac gelé au plus creux de la saison blanche, pisser en public n’est pas bien grave.

Cet hiver, la glace du fleuve n’a jamais fait son apparition. Je n’ai donc pu me rafraîchir ni la mémoire (ni les orteils) en allant faire un tour de banquise. Dommage, car j’avais en tête de courir sur l’eau de Sainte-Catherine jusqu’à Varennes. Cette idée m’habite depuis deux ou trois ans. Pour franchir 40 km sur le fleuve au niveau de Montréal, il faut que le froid s’installe dès décembre et persiste, histoire que les courants de Boucherville se figent. Depuis 10 ans que je cours sur glace, c’est déjà arrivé. Même les rapides qui bordent feue l’île Ronde ont déjà été domptés, une stase surprenante, un chaos de glace.

Cette année, que dalle, mon bout de fleuve est resté fluide. Je me suis donc dirigé vers le Piékouagami (le véritable nom du lac St-Jean) sans révision adéquate des classiques de la course sur le Magtogoek (St-Laurent pour les cathos) : tibias lacérés par la glace, engelures aux orteils, chaussures transformées en lourdes bottes cristallines, mille-feuilles de neiges variées, visage fouetté par les vents, hypothermie légère, grand blanc, sloche traitre.

Pourquoi déjà ? Ça dépend de la question.

Pourquoi affronter cet environnement épouvantablement hostile au banlieusard en mal d’aventure polaire ? Pour la lumière rasante du soleil sur la glace, le calme minéral d’un paysage transformé, la beauté éphémère et changeante d’une masse d’eau qui respire.

Pourquoi traverser un grand lac l’hiver ? Pour les mêmes raisons, mais avec ravitos et bénévoles ! Et surtout pour donner un coup de main à la fondation Sur la pointe des pieds.

Malgré l’absence de gel prolongé à Longueuil, le lac a eu bien froid, assez en tout cas pour solidement se couvrir de glace. Et pour nous accueillir, l’organisation des Courses CRYO a commandé une vague de froid éponyme, ou quelque chose dans le genre. En tout cas, perdre 25° C en cinq heures de route, on ne voit pas ça tous les hivers…

Le samedi de la course, pas de blizzard comme c’est arrivé deux ans plus tôt, pas de vents violents à souffler les motoneiges comme l’année passée. Juste un ciel bleu, un horizon blanc, un soleil rond au début, une pleine lune pour la suite.

Alors, on a couru en ligne droite. Vingt-quatre kilomètres de Vauvert à Roberval, puis un léger virage à gauche pour les 13 dernières bornes menant à Chambord. Un tracé rectiligne sans arbre ni refuge, aussi sauvage et hypnotisant que mes interminables digues floridiennes 365 jours plus tôt. 

Et dans ces deux déserts plats, pisser tranquille est un défi : tu regardes au loin si quelqu’un risque de débouler en pickup ou en snowmobile, tu vidanges et tu repars, l’air de rien. Okeechobee ou Piékouagami, même combat.

Après des heures à ne pas avoir froid malgré les degrés manquants, à ne pas tomber dans les fissures zébrant l’épaisse glace, à ne pas se mouiller malgré les menaces de sloche entre deux neiges, nous avons finalement remis pied à terre et traversé, givrés, l’arche marquant la fin de la balade.

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