« Oui, mais toi tu es spécial. »
En conférence, on m’a parfois lancé cette remarque. Comme s’il fallait être hors-norme pour courir des ultras. Peut-être.
Bon, je suis plus en forme que la population générale. Compte-tenu de l’épidémie de sédentarité, ce n’est pas un exploit. Mais vous aussi, si vous courez un peu. Pas convaincus ? Pensez aux réactions de vos proches, qui s’inquiètent pour rien à propos de vos genoux, votre cœur. Si c’est ça être spécial, bravo et bienvenu dans le club !
Mais est-ce que ça fait de vous des ultramarathoniens ? Vous devez penser que non, que je suis un meilleur coureur que vous. Mais qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Moi aussi, j’ai plein d’amis qui sont meilleurs que moi ! Vitesse ? Alvaro et ses kilomètres supersoniques. Dénivelé ? Mihai dans ses Carpates. Puissance ? Vince et ses deadlifts. Force ? Elie et ses muscle-ups. Ultra ? Pierre et tous les Bromont Ultras. Multi-jours ? Charlotte sur le GRA1. Constance ? Anne qui n’a jamais trouvé d’excuse pour ne pas courir. Persévérance ? Sébastien qui ne fait jamais DNF.
Toutes ces qualités sont utiles quand vient le temps de courir pendant la majeure partie d’une journée, mais aucune n’a besoin d’être exceptionnelle. Déjà, pour finir une telle épreuve, il faut oser se pointer à la ligne de départ. Facile, non ? Pas si vous vous blessez trop souvent en chemin. Malheureusement, un coureur sur deux se blesse chaque année, presque toujours parce qu’il en a fait « trop ».
Alors là, je suis un pro du « trop », coupable d’excès à répétition, 17 années de récidive… mais jamais condamné, jamais blessé. Comment est-ce possible ? Demandez à ma maman, c’est elle qui m’a légué ses gènes. La génétique, c’est pratique pour les crétins comme moi, mais n’importe quel coureur qui s’écoute peut s’en sortir indemne. Alors, quel est l’ingrédient essentiel en ultra-endurance ?
L’envie. Aimer avancer malgré les douleurs, l’épuisement, la faim et la soif, se complaire dans la lente agonie d’une épreuve trop longue. Ça vous effraie ? Eh bien moi, ce qui me fait peur, c’est la ligne de départ d’un 5 km, prélude à quelques minutes insupportables, le goût métallique du sang dans la bouche… Faut être spécial pour aimer ça.